Empreinte

­En 2011, j’ai entrepris un grand projet personnel à partir de photos de paysages du monde entier : Empreinte.

A travers de nombreux voyages sur tous les continents, je poursuis mon exploration de notre globe, parfois en le survolant. Le recours occasionnel à la photographie aérienne ne vise pas à restituer une pure réalité figurative ou objective de mon sujet. Par la recomposition, en jouant des formes, des couleurs et des textures, les prises de vue ouvrent la voie à une créativité artistique pour interpréter le paysage à travers le prisme de l’abstraction. 

Ces œuvres sont l’aboutissement de mes travaux sur le paysage ; ce sont plus que de simples photographies, ce sont des compositions graphiques, abstraites à partir d’images de paysages bien réels. 

Mon travail s’inspire d’ailleurs d’artistes abstraits, les œuvres qui en résultent sont à la croisée des chemins entre la photographie et la peinture.

Réalisées parfois sur plusieurs kilomètres carrés, les prises de vue sont ensuite assemblées pour créer une image personnelle, abstraite ; non pas une simple reproduction objective, technique de la nature mais un ressenti, une émotion – comme un regard qui interroge sa propre perception.

« Empreinte » inscrit tout à la fois un prolongement et une rupture dans le travail d’Antoine Gonin sur le paysage. En effet, si « Horizons » rassemblait un long état des lieux du paysage et du patrimoine français, ses merveilleuses images en noir et blanc étaient avant tout descriptives, et venaient, sur un mode narratif, dresser une sorte de panorama photographique, un reportage en somme, sur les beautés naturelles ou architecturales.

Avec « Empreintes », il semble se déprendre de toute intention documentaire et franchir les frontières (du reportage comme du territoire français) pour laisser libre cours à une signature beaucoup plus personnelle, qui marque un aboutissement de son travail photographique.

Alors qu’il donnait précédemment à voir le paysage dans sa globalité, il parcourt le monde et tranche, aujourd’hui, pour en extraire autant de compositions abstraites, graphiques, poétiques, où les éléments naturels se convertissent en signes qui affleurent et viennent composer l’image. La mer de Bretagne devient une page blanche où s’alignent de profondes entailles, la saline du grand lac salé évoque l’oeuvre de quelque peintre abstrait, la mytiliculture vénétienne s’incarne en une étrange partition musicale.
La nature ainsi transposée par le regard singulier d’Antoine Gonin ne s’offre pas dans une lecture descriptive. Dans ses images, mutiques car sans repères, elle se laisse deviner, énigmatique presque, et se révèle dans son mystère et son secret. Il entre dans le registre de la réminiscence, de la résurgence visuelle.
Il décèle partout, presque, la trace que l’homme a imprimé à la nature et qui vient transfigurer le paysage. Un environnement naturel irrémédiablement marqué des stigmates de l’activité humaine : sillons dans la terre noire, terrassements des salines, poches des ostréiculteurs à fleur d’eau…

Ainsi, les images d’Antoine Gonin sont tout à la fois empreintes des modifications de l’homme sur le paysage comme de la singularité de son regard.

Caroline Benichou